Cher Nestor,
je t’imagine, tel que tu te décris, sur ta belle moto rouge, partant ce dimanche avec ton petit Nikon numérique à la « chasse aux plâtrées » pour ton site…Si tu es habillé de ta veste en tweed, et avec un noeud papillon, comme sur les photos que tu m’as envoyées, ça te donne un côté vieux romantique un peu dandy, c’est marrant…
Christelle.
Christelle, la jeune femme corrigée, c’est une étudiante qui végète en banlieue, entre ses cours qui l’ennuient et son copain qui la broute. Nestor, c’est un « fétichiste courtois », qui rôde sur les forums de gens plâtrés, dans l’espoir de lier connaissance, de prendre des photos et plus si affinités. Or, Christelle est une écrivaine en devenir. Elle travaille à son roman. Elle vient de se casser les deux bras, et Nestor prend donc contact avec elle. Il se trouve qu’il est directeur de collection dans une (forcément) prestigieuse maison d’édition. Un roman épistolaire s’ensuit. Liaison dangereuse ? Laclos…Sade, comme le titre l’évoque instantanément, ou…autre chose encore ?
En fait, derrière cette histoire amusante et amère, Romain Slocombe nous convie à déplacer les lignes, à revisiter les notions de morale, de manipulation, de destin voulu. De même que Christelle est « bien tombée » dans l’escalier, puis sur Nestor, celui-ci finira aussi par bien tomber lui aussi. Y-a-t-il un hasard, ou seulement des actes manqués, des ratés qui ne le sont pas ?
Quant à la morale classique, elle paraît fort absente du livre : face à la déviance, elle n’a pas grand-chose à dire…avant de faire sa réapparition dans une fin terrible, harrowing comme on dit en anglais, terme magnifique car peu traduisible. Un instant bafoués, Sade et la société reviennent de tout leur poids dans les culs légers, et ça fait mal. Un Mal qui n’est ni dominant ni dominé, ni déviant ni normatif a priori. Il se place où il peut. Ce qui le distingue dans cet ouvrage, c’est qu’il n’est pas, il n’est jamais – et, nous dit Romain Slocombe, il ne peut jamais être- « courtois ». La forme, c’est le fond. Nestor, malgré ses défauts, est courtois – tout comme ce livre avec ses passages pornographiques intelligents (qui vibrent au rythme de l’histoire, dirons-nous) : il donne au lecteur un plaisir intelligent.
Chez le Serpent à Plumes.